Lisboa

photo Christian Maury
texte Armand Chauvel traducción Maï T Segura
Quand Lisbonne lève les voiles

S’asseoir à la terrasse du café A Brasileira, dans le quartier central du Chiado, à côté de la statue de Fernando Pessoa, le poète mort en 1935 qui écrivait sous cinq identités différentes. Dans son costume de bronze, assis sur une chaise, il regarde passer le temps d’une ville aimant se conjuguer à tous les modes. Quelques instants auparavant, un peu plus haut, sur le Largo do Carmo, je me suis arrêté pour voir l’église au toit détruit par le tremblement de terre de 1755 et jamais reconstruit. Un peu plus bas, au pied de la Rua Garrett, la foule se presse dans le centre commercial Espaço Chiado, aux vitrines modernes. Lisbonne monte et descend au gré de ses collines. Et contrairement à Rome, personne n’a jamais pris la peine de les compter.
J’ai débuté ma promenade non loin de là, dans le Bairro Alto. En haut de l’Elevador da Gloria, l’un des tramways-ascenseurs jaunes qui satisfont la manie locale de gagner ou de perdre de l’altitude, un mirador m’a offert une première vue sur le Tage. Quelques kilomètres en aval, l’Atlantique apporte le vent salé de la « saudade », cette curieuse nostalgie portugaise de ce qui sera. Pointe avancée de l’Europe, la vieille cité semble prête à rompre les amarres.
En dévalant la Rua Garrett vers la place du Rossio, on sentirait presque la houle océane soulever les petits pavés noirs et blancs, aux dessins géométriques, des places et des trottoirs. J’enfile la Rua de Ouro et parcours la Baixa, le quartier reconstruit par l’autoritaire Marquis de Pombal après le tremblement de terre. Des rues tirées au cordeau et le Terreiro do Paço, la grande place bordant le Tage, rappellent que cette capitale fut autrefois celle d’un empire.
Le soleil fait scintiller le fleuve, si large qu’on l’appelle ici la « mer de paille. » On aperçoit les tourelles des navires à quai. C’est dans ce quartier du port qu’est né autrefois le « fado », du mot latin « fatum. » Le fado, son, plainte et chant de Lisbonne.
Le temps de boire une « bica », l’expresso portugais, je retourne au Rossio et de là, aux Restauradores, grande place commémorant la fin de l’occupation espagnole en 1640. La belle Avenida da Liberdade, bordée de magasins de luxe, y prend son envol, mais je préfère m’aventurer dans les ruelles, en direction du Castelo São Jorge, dominant la partie est de la ville. Lisbonne ne réclame pas qu’un pied marin, il y faut aussi de bons mollets. Fatigué, je prends au vol le tramway 28 qui relie le Cemitério dos Prazeres, le Cimetière des Plaisirs, à l’église de Graça. Des plaisirs à la grâce. De la grâce aux plaisirs. Je ne suis pas seul à bord. Lisboètes, touristes... pickpockets. Sur ses rails serpentins, l’engin s’élance et passe en grinçant devant la Sé, la cathédrale. Plus haut, je descends au mirador de Santa Luzia. Des vieux jouent aux cartes sous une pergola de bougainvilliers. Le Tage et Alfama s’étendent à mes pieds.
Alfama, l’ancien quartier maure. L’occupation arabe a laissé ici moins de vestiges qu’en Espagne, mais la toponymie et les mots en portent encore la trace. Ne surnomme-t-on pas les Lisboètes « alfaçinhas », petites laitues, autre mot arabe, à cause de leur goût pour les potagers et les plantes vertes ?
Se perdre dans les ruelles d’Alfama. Sans plan, avec la flânerie pour seul projet. Plonger vers le fleuve puis remonter le courant des minces escaliers, des passages étroits, des blancs corridors de cette ville blanche aux airs de casbah. Des visages s’encadrent aux minuscules fenêtres. Une odeur de sardine grillée monte d’un brasero. Des ballons dévalent la chaussée, bolides fous poursuivis par des enfants rêvant des exploits du Bemfica ou du Sporting. Dans l’air plus vif, luit le faible éclat bleuté des azulejos.
Si j’avais la taille d’un Adamastor, le géant mythologique créé par Luis de Camões, l’auteur des fameuses Lusiades, je pourrais presque, en me penchant, apercevoir plus à l’est la zone de l’Expo98, l’exposition mondiale de 1998. Un monde de tours en verre où la Estação do Oriente, la Gare de l’Orient conçue par l’architecte espagnol Santiago Calatrava, symbolise la capacité de modernisation d’une ville tournée vers les lointains, qu’ils soient passés ou futurs.
Lesté d’un « pastel de Belem », petit gâteau au flanc et à la cannelle omniprésent dans les cafés, je remonte vers le Castelo Séao Jorge. Seules les murailles de ce qui fut une demeure de rois, un théâtre, un dépôt d’armes, une prison, ont survécu au tremblement de terre, mais on monte là-bas pour le coucher du soleil. Lumière baroque de Lisbonne qui sculpte, tranche et dore les tours de la vielle citadelle veillant sur le Tage. La nuit tombera bientôt. Dans le Bairro Alto, des bars magiques, comme le Pavilhão Chinês, se rempliront ; plus tard, les discothèques d’Alcântara et de l’Avenida 24 de Julho grouilleront de monde. Lisbonne, d’apparence si sage, ne dormira que d’un oeil. Et si le vent se lève, comme jadis, elle mettra les voiles vers des rêves inconnus.

ARMAND CHAUVEL

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Cuando Lisboa subes las velas.


Sentarse a la terraza del café A Brasileira, en el barrio central del Chiado, junto a la estatua de Fernando Pessoa, el poeta muerto en 1935 que escribía bajo cinco identidades diferentes. En su traje de bronce, sentado sobre una silla, observa pasar el tiempo de una ciudad contenta de conjugarse en todos los modos. Algunos momentos antes, un poco más arriba, sobre el Largo DO Carmo, me detuve para ver la iglesia al techo destruido por el terremoto de 1755 y nunca reconstruido. Un poco más bajo, al pie del Rua Garrett, la muchedumbre se presiona a los escaparates modernos del centro comercial Espaço Chiado. Lisboa sube y desciende a la voluntad de sus colinas. Y contrariamente a oma, nadie nunca ha tomado la pena de contarlas. Comencé mi paseo no lejos de allí, en el Bairro Alto. En la cumbre del Elevador DA Gloria, uno de los tranvía- ascensores amarillos que satisfacen la manía local de ganar o perder altitud, un mirador me ofreció una primera vista sobre el Tajo. Algunos kilómetros posteriores, el Atlántico trae el viento salado de la "saudade", esta curiosa nostalgia portuguesa de lo que será. Punta avanzada de Europa, la vieja ciudad parece lista para romper las amarras..

Al descender el Rua Garrett hacia el lugar del Rossio, casi se sentiría la marejada Oceanía levantar los pequeños adoquines de dibujos geométricos blancos y negros de las plazas y aceras. Me adentro en la Rua de Ouro y recorro el Baixa, el barrio reconstruido por el autoritario Marqués de Pombal después del terremoto. Calles alineadas con cordel y el Terreiro do Paço, la gran plaza al borde del Tajo, recuerdan que esta capital fue la antes la de un imperio. El sol hace centellear el río, tan amplio que se le llama aquí el "mar de paja." "Se perciben las torretas de los buques en el muelle." Es en este barrio del puerto que nació antaño el "fado", de la palabra latina "fatum." "El fado, sonido, gemido y cante de Lisboa."
Vuelvo al Rossio el tiempo de beber una "bica", el expreso portugués y de allí, al Restauradores, la gran plaza de conmemoración del final de la ocupación española en 1640.
De ahí despega la bonita Avenida da Liberdade, con sus almacenes de lujo, pero prefiero aventurarme en las callejuelas, en dirección del Castelo São Jorge, que domina la parte este de la ciudad. Lisboa no reclama solo pie marino, también hay que tener buenas pantorrillas. Cansado, tomo al vuelo el tranvía 28 que conecta el Cemitério espalda Prazeres, el Cementerio de los Placeres, a la iglesia de Graça. De los Placeres a la gracia. De gracias a los placeres. No voy solo a bordo. Lisboètes, turistas... carteristas. Sobre sus carriles serpentinos, la maquina se lanza y pasa chirriando delante del Sé, la catedral. Más arriba, bajo al mirador de Santa Luzia. Unos viejos juegan a las cartas bajo una pérgola de bougainvilliers. El Tajo y Alfama se extienden a mis pies.
Alfama, el antiguo barrio moro. La ocupación árabe dejó aquí menos vestigios que en España, pero la toponimia y las palabras llevan aún el rastro. ¿No llaman los Lisboètes "alfaçinhas", pequeñas lechugas, otra palabra árabe, debido a sus gustos por las huertas y las plantas verdes?


Perderse en las callejuelas de Alfama. Sin plan, con el callejeo como único proyecto. Hundirse hacia el río luego y remontar la corriente de finas escaleras, de estrechos pasos, de blancos pasillos de esta ciudad blanca con aires de casbah. Caras se encuadran en las minúsculas ventanas. Un olor de sardinas asadas sube de un brasero. Globos descienden la calzada, bólidos locos perseguidos por niños que suenan con las hazañas del Bemfica o del Sporting. En el aire más vivo, brilla el escaso resplandor azulado de los azulejos.
Si tuviera el tamaño de un Adamastor, el gigante mitológico creado por Luis de Camões, el autor del famoso Lusiades, podría casi, inclinándome, percibir más al este la zona del Expo98, la exposición mundial de 1998. Un mundo de torres en vidrio donde el Estação do orienta, la Estación del Este concebida por el arquitecto español Santiago Calatrava, simboliza la capacidad de la modernización de una ciudad girada hacia las lejanías, ya sean pasadas o futuras.
Con un "pastel de Belem", pequeña tarta de flan y canela omnipresentes en los cafés, subo hacia el Castelo Séao Jorge. Sólo las murallas de lo que fue una residencia de reyes, un teatro, un depósito de armas, una prisión, sobrevivieron al terremoto, pero se sube allí para la puesta del sol. Luz barroca de Lisboa que talla, corta y dora las vueltas de la zanfoña ciudadela velando por el Tajo. La noche caerá pronto. En el Bairro Alto, bares mágicos, como el Pavilhão Chinês, se llenarán; más tarde, las discotecas de Alcântara y de la Avenida 24 de Julho se llenara de gente. Lisboa, de aparición tan sabia, solo dormirá de un ojo. Y si el viento se levanta, como antes, pondrá las velas hacia sueños desconocidos.


ARMAND CHAUVEL